Les débuts du tapis berbère, son
origine et la signification de ses motifs remonte à très loin. Il ne descend
pas des tapis d'Orient de l'ère islamique mais la similitude de la technique
du nouage et de certains motifs indique des racines communes, qui remontent
probablement au néolithique d'Asie Mineure. A l'écart des grandes
civilisations de l'Antiquité et loin des échanges culturels de la Route de
la Soie, le tapis berbère a gardé son originalité dans les régions
montagneuses de l'Atlas et les plaines atlantiques.
Gravure rupestre paléolithique à Aït Ouazik
Quand on rapproche les motifs du
tapis berbère des signes de l'art pariétal et des artefacts des premières
cultures de l'homme, on y retrouve les mêmes principes dans l'emploi des
signes et des formes et on y découvre d’étonnantes ressemblances ou
correspondances, même avec les phénomènes du paléolithique supérieur de
l'Europe, du néolithique d'Orient et du bassin méditerranéen. Ainsi, le
tapis berbère peut peut-être être considéré comme le dernier témoignage de
ce monde archaïque.
Quoi qu’il en soit, le langage
abstrait et géométrique du tapis berbère est dérivé à l'origine du corps, de
la forme et des fonctions des organes sexuels humains. Fondé sur la dualité
et la rencontre des deux sexes, il devient l'expression d'une magie de la
fertilité universelle, incluant toute la nature. Création artistique de la
femme berbère, son tapis reflète avant tout les phases de sa vie et
l'expérience de sa vie sexuelle: comme vierge, comme nouvelle mariée,
l'union avec l'homme, la grossesse et l'enfantement.
Aux XIIème et XIIIème siècle, la
beauté des tapis ou encore des tentures murales ("hanbel"), ainsi que la place
que cette production occupait au Maroc étaient déjà soulignées.
Tentures murales ("hanbel")
Au Moyen-âge, le tapis figurait
parmi les cadeaux remportés par les ambassades étrangères ou dans l’apparat
d’une caravane princière où l’on voyait sur les chameaux des tissus en soie
et en fil d’or et des tapis (« zarabi ») d’une beauté sans égal.
Parmi les différentes significations que revêt le terme "zarabia"
(tapis), d'origine arabe, on retiendra plus particulièrement celle de
"parterre fleuri" ou encore de "ce qui est tendu au sol et sur lequel on
prend appui". La forme berbérisée est "tazerbyt".
Au Maroc, on emploie également le mot "qtifa", de même origine, qui désigne
le tapis à haute laine tissé généralement dans les régions de haute altitude
chez les Marmoucha et les Aït Ouaouzguite.
Au XVIème siècle, Jean Léon
l’Africain (Al-Hasan ibn Muhammed) précisait que le tapis faisait partie du
trousseau de la mariée de Fès: "On donne encore un tapis à laine longue
d’une vingtaine de coudées et trois couvertures dont une face est un
drap...". Les tapis étaient également vendus aux enchères à Fès et exportés,
notamment vers l’Afrique Noire. Ils étaient renommés pour leur finesse dans
les majestueuses qoubba («coupole» en arabe), centres d'ablutions pour les
croyants se rendant à la mosquée.
Le tapis est un cadeau de choix et
au XIXème siècle, le tapis marocain était l’un des produits les plus
exportés vers l’Europe. On le retrouvait très présent en France lors des
expositions universelles de 1867, 1878 et 1889. A la fin du XIXème siècle et
au début du XXème, le tissage du tapis était une activité très présente dans
presque toutes les villes marocaines.
Œuvres d'art originales
datant du 17ème siècle:
Tribu Beni M'guild
(Moyen-Atlas central)
Tribu Aït
Ouaouzguit (Haut-Atlas)
Tribu
des Ouled bou sba (haouz de Marrakech)
Tribu Marmoucha (Moyen-Atlas)
Au Maroc, les plus anciens tapis
conservés remontent au XVIIIème siècle: celui de Chiadma, par exemple, est
daté avec exactitude (1202h/1787J.C.).
Tapis de la tribu des
Chiadma (région d'Essaouira)
Au XXème siècle, l’industrie du
tapis se transforme avec l’intervention du Service des Arts indigènes et la
rédaction d’un répertoire incomplet mais précieux. Les spécimens anciens se
trouvent encore dans certains musées marocains (le Musée des Oudayas à
Rabat, Dar Batha à Fès, Dar Si Saïd à Marrakech).
Des ateliers expérimentaux ont été
installés dans certaines villes, notamment à Rabat, et des techniques,
nouvelles ou renouvelées, de fabrication et de teinture ont été étudiées et
mises en application. Ces ateliers élaboraient des maquettes d’anciennes
pièces et préparaient des couleurs végétales conformément aux recettes
traditionnelles. Ces produits, mis ensuite à la disposition des tisseuses de
Rabat, des régions de Meknès et de Marrakech, ont permis d’obtenir des tapis
fidèles aux anciens modèles.
Le "tapis berbère" ou "tapis
des tribus"
Le tapis est
un objet d’art basé sur une connaissance de civilisation ancestrale des
peuples qui ont, tout le long de l’histoire, exprimé leur savoir à travers
des moyens décoratifs, des sculptures, des poèmes, des dessins, des
couleurs, etc...
Le tapis est donc un objet artistique réalisé dans des familles de
grande tradition pastorale et qui vivent en général de l’élevage et de
l’agriculture, donc des familles rurales. La fabrication des tapis
traditionnels, sous toutes leurs formes, nécessite la présence de
certaines conditions, des moyens et du matériel de base dont, notamment :
- la laine pure et saine, comme matière première qui sera transformée
en fils à différentes dimensions et propriétés variées, des colorants
naturels (voir la rubrique "L'art du tissage")
- un matériel adéquat (métier à tisser) de différentes formes, selon
l’utilisation souhaitée (voir la rubrique "L'art du
tissage")
- un personnel compétent maîtrisant les techniques traditionnelles de
tissage et de motifs décoratifs.
Le tissage des tapis constitue une activité essentielle dans certains
milieux, car il joue un rôle économique primordial pour la subsistance des
familles. Il s’inscrit ensuite dans un mode de commercialisation
traditionnel, basé sur le troc. Dans un ménage, l’homme et la femme
travaillent en coopération. La femme s’occupe du tissage et du modelage
des tapis et le mari s’occupe de la commercialisation dans les marchés
hebdomadaires, et fait, en contre partie, l’achat des produits
alimentaires et autres produits dont ils ont besoin pour vivre.
Négociation autour d'un tapis berbère
D'un point de vue artistique, le meilleur tapis est encore fait dans
certaines régions berbères à base de produits naturels locaux (colorants).
Les motifs décoratifs utilisés sont l’expression de la culture de la tribu
dont est originaire le produit. Ces motifs relatent l’esprit de
cohabitation qui a toujours existé dans ces tribus depuis une histoire
lointaine avec les peuples de différentes convictions et de différentes
civilisations (musulmans, juifs, berbères, chrétiens).
La maîtrise de l’art de tisser les tapis se transmet de mère en fille,
ce qui constitue une tradition d’apprentissage dans les milieux ruraux.
Le langage visuel traditionnel commun de la collectivité ainsi que les
techniques permettant de nouer avec doigté les fils d’un tissage sont
aussi appris sur le tas.
Les motifs décoratifs figurant sur les différents tissages sont très
significatifs, et diffèrent d’une tribu à une autre. Le tapis est une tradition plutôt berbérophone car
c’est dans le Sud marocain, dans le Haut et le Moyen Atlas, qu’il a connu
son épanouissement (sous le nom de "Tazarbit"). Le Centre
Ait
Ouaouzguit, dans la province de
Ouarzazate, est l’un des
principaux berceaux de cette production artisanale. Ce centre de renommée
mondiale, est situé dans le Haut Atlas, là où la confection des tapis
prédomine.
Le tapis Aït Ouaouzguite de la tribu de la région de
Taznakhet est le tapis du Haut Atlas par excellence avec la laine du
mouton mieux travaillée, des couleurs vives et des motifs géométriques
bien ordonnés.
Les tapis de tradition berbère sont la catégorie la plus importante et
la plus représentative à l’échelon mondial des tapis marocains. C’est une
production typiquement de l'Atlas avec une décoration et des motifs
exceptionnels, propres à chaque tribu précisément. On peut la subdiviser
de la manière suivante :
- Les tapis du Moyen-Atlas (région de Meknes - Rabat), tribu Zemmour-
Zaer- Zain- Bani Mtir- Ait Sgougou- Beni M’guil.
Le Moyen-Atlas abrite la majeure partie des tribus qui tissent les
tapis. Ces tapis sont connus pour leur
velours blanc et soyeux. Les nœuds ont une hauteur qui atteint parfois
10 cm ou plus. Ces tapis servent de matelas, de couvertures et montrent
un décor simple fait de losanges. Ils sont appelés "achdif". Les
tapis du Moyen Atlas sont tissés selon des techniques qui varient
quelque peu d'une tribu à l'autre.
Moyen-Atlas
Le tapis Zemmour du Moyen Atlas fait
partie de ces tapis sans cadre qui déclinent leurs fonds du rouge à
l'orange rouge alternés de motifs jaunes, blanc, bruns…
Tribu Beni M’guil
- Les tapis du Moyen-Atlas (région de Fès – Taza). : Tribus Beni Ouarain –
Ait Ighezzrane - Beni Alaham- Ait Halli – Ait youssi – Ait Seghrouchéne-
Marmoucha - Ait Youb – Ait Izdeg - Aît Yaâcoub.
Le tapis Beni Ouarain du Moyen Atlas est traditionnellement
tissé sous la forme d'un grand tapis à fond blanc et à dessin brun; épais
pour faire face aux rigueurs du climat, il est capable de retenir la
chaleur et procure plus de confort.
Tapis de la région de Mrirt (Moyen-Atlas)
- Les
tapis du Haut Atlas:
Les tapis du Haut-Atlas sont tissés selon une technique similaire à
celle du tapis citadin. Ils sont également appelés
les tapis des Aït Ouaouzguites, tribu qui peuple le territoire
se trouvant entre Ouarzazate et
Taznakht.
Les tapis Glaoua du Haut Atlas associent trois techniques de
réalisation textile: points noués, tapisserie et tissage à plat structurés
en fenêtres symétriques. Modèle tissé à point noué, travaillé à la main,
il représente un style
unique dans son genre en associant en lui- même tous les arts de tissage de
tapis puisqu'il est à la fois tissé, noué et brodé; les Berbères
tendent des fils sur les côtés, les plient en deux puis les nouent ensemble
pour obtenir un sac pour leurs voyages. Les couleurs comme la laine sont
d'origine naturelle.
- Les tapis du Haouz de Marrakech:
Les tapis du Haouz de Marrakech font partie des tapis ruraux. Les
tribus noueuses de tapis qui entourent Marrakech sont presque toutes
d'origine arabe (tapis de Rehamna, tapis de H'mar, tapis des Oulades Bousebaâ).
Les tapis du Haut-Atlas sont différents par leurs dimensions, leur chromie et l'agencement de
leurs motifs. Il existe 4 catégories
de qualité classées officiellement par couleur: courante (verte), moyenne
(jaune), supérieure (bleue) et extra supérieure (orange).
Rehamna est un village arabe situé à quelques kilomètres de
Marrakech; ses tapis sont habillés d'un style très particulier; les motifs
associent parfois des insectes ou de personnages en ligne brisée.
Tapis Rehamna
Dans ces trois tribus, le nœud utilisé est
le nœud symétrique.
Le nœud symétrique est aussi appelé nœud turc ou nœud
de Ghiordès, du nom du lieu où il était utilisé à l'origine, en
Turquie. On lui donne encore parfois le nom de turkbaff.
Dans
le nœud symétrique, le fil de velours (en rouge sur l'illustration)
est enroulé autour de chacun des deux fils de chaîne qu'il entoure (en
jaune clair). Entre chaque rangée de nœuds, on insère le fil de trame
(marqué en bleu) sur un ou plusieurs rangs.
Le nœud symétrique donne au tapis une consistance légèrement
plus solide et on l'utilise souvent pour les tapis plus épais.
Les fils de chaînes sont en poil de chèvre ou en un mélange de poil de
chèvre et de laine noire, les rangées de nœuds sont séparées par quatre à
douze fils de trame, la trame est souvent en laine rouge, le tissage de
ces tapis est lâche, on relève le même nombre de nœuds en longueur et en
largeur. Une des caractéristiques des tapis du Haouz est leur lisière
tissée en dents de scie pénétrant le velours noué, ces lisères sont
tissées en poil de chèvre.
Les Chichaouas de la région de Haouz de Marrakech, entre le Haut
et le Moyen-Atlas, sont des tapis de grand format à la laine rouge à
orangée nouée sur des fils de chaînes en poil de chèvre.
Le tapis Zanafi de la région à l'Ouest de Ouarzazate et composé
des bandes noires et blanches peut être plié et assemblé pour former un
sac à grain ou servir de couverture.
De façon générale, la composition artistique utilise des motifs simples
qui prennent toutes les formes possibles : losange, carré, triangle, ligne
en zigzag etc.
Le tapis kilim berbère, est associé à l'art de tissage, à la broderie,
mais aussi à l'art nomade berbère, à l'art des montagnes de l'Atlas. Les
motifs de broderie émanent de signification et de tatouages propres à chaque
tribu et à chaque famille. Les kilims peuvent être en laine ou en soie; les motifs, transmis
d’une génération à l’autre, varient selon les régions, comme les couleurs.
Un bon tapis peut compter jusqu’à 480'000 nœuds au mètre carré et
peut demander jusqu’à neuf mois de travail, par exemple un tapis Taznakht,
modèle berbère à point noué et aux couleurs naturelles telles que le
safran, le henné, la menthe et autres.
Tapis Taznakht
Réputés parmi les plus anciens tapis confectionnés au Maroc, les tapis
de Taznakht ainsi que ceux de Zayane, avec les hanbal de la même
région, font aujourd’hui la fierté de l’artisanat marocain.
Tapis Zayane
Originaire du
Haut Atlas, le tapis de Taznakht est fait de noeuds sur deux lignes; leur
fond est jaune, leurs dessins sont géométriques, denses de couleurs rouge,
vert foncé et blanc cassé. Le hanbelest une pièce tissée,
plus légère et moins épaisse que le tapis. Son utilisation diffère d'une
région à l'autre: Il est utilisé comme couverture, comme sofa ou comme
décoration pendant les fêtes nationales ou privées. Il remplace parfois le
tapis.
Les matières premières utilisées dans ce genre de tapis sont la laine
pure ou le coton de bonne qualité. Les fils se distinguent par leur
filature perfectionnée et leur propreté. Le "hanbel" est à dominante rouge
avec du jaune du vert, du noir, et du marron. Ces couleurs sont obtenues à
base de plantes existant dans la région qui le produit. Berbère d’origine,
le hanbal porte forcément des motifs empruntant tantôt à la nature ses
formes et traits, tantôt à l’alphabet amazigh quant à ses contours.
Les
tapis berbères se distinguent d'une autre catégorie de tapis marocains:
le "Tapis royal" ou "tapis des cités".
Le tapis royal est l'extrait de plusieurs familles de tapis venant de
l'orient mélangée à celles qui résidaient déjà au Maroc ancien; c'est aussi
l'association de l'architecture maroco-andalouse à l'art oriental; on y
distingue les murailles, les portes des grands palais, les plafonds décorés,
les jardins, les riads ou patios.
Tapis royal genre Rabat
D'origine citadine, les tapis de Rabat sont moins anciens que ceux issus
des régions berbères.
Les techniques de fabrication des tapis
A près les diverses opérations liées à la préparation de la laine
(voir rubrique "L'art du tissage"), le
tissage proprement dit peut commencer. C'est de la finesse et de
la solidité des fils de chaîne et des fils de trame que dépend la valeur
d'un tapis. Deux parties essentielles le composent : la haute laine et
le tissu de fond. Le nombre de nœuds au décimètre carré varie entre 50
dans un tapis du Haut-Atlas et 400 dans un tapis citadin de Rabat.
De nos jours encore, dans certaines régions du Maroc, la laine est
considérée comme un cadeau du ciel; on lui attribue le don de protéger
l'homme des forces maléfiques. Depuis la tonte jusqu'à l'ourdissage, la
laine est donc traitée avec soin et travaillée selon un rituel très
précis qui se transmet de génération en génération. Ainsi, après la
tonte, la laine est gardée dans un coin discret de la maison. Lors du
lavage de la laine à la rivière, les tisserandes prononcent ces mots: "La
laine comme le blé génère l'abondance". Quant à la teinture qui a pour
objet de modifier l'aspect de la laine sans en modifier les qualités
principales d'isolant thermique, de résistance à l'usage et de confort
visuel et tactile, elle obéit encore dans certaines régions à un rite
précis. La veille de l'opération de teinture, on expose les différents
bains à la lueur des étoiles pour chasser les forces maléfiques.
La tisserande fumige la laine prête à être teinte et la cache loin des
regards puis elle se purifie elle-même comme si elle se préparait pour
la prière. Le lendemain, à l'aube, elle retourne vers le bain
qu'elle a exposé aux étoiles sans se tourner ni à gauche ni à droite
puis elle commence l'opération de teinture après avoir prononcé une
prière, la "Basmala". Pour l'ourdissage, la tisseuse demande à deux
voisines de l'aider à monter son métier à tisser. Après avoir planté les
deux piquets de l'ourdissoir, la propriétaire du métier à tisser
prononce la "Basmala" puis écrase quelques morceaux de sucre entre les
deux piquets. Puis les trois tisserandes se mettent à chanter les phrases
suivantes: "Nous voulons monter le métier, chaque métier voyant le jour
doit être achevé".
Dans certaines tribus de l'Atlas, lorsqu'une femme vend ou achète un
tapis (dont la confection prend souvent plus d'un an), l'évènement est
vécu comme une manne de Dieu et donne lieu à une véritable fête. Par
contre, dans d'autres tribus, l'achèvement d'un tapis est considéré
comme la perte d'un enfant que l'on a conçu, élevé et vu grandir pour
finalement le voir partir. Son achèvement est alors accueilli par des
cris et des pleurs.
La technique du tissage de tapis s'est diffusée
rapidement à travers les douars, les villages et au-delà. Pour obtenir des
brins de laine de 3 à 5 cm chacun, les femmes enroulent de façon serrée et
régulière un fil de trame plus épais que la chaîne sur un bâton plat
qu'elles coupent dans le sens de la longueur. Autour de deux fils de chaîne,
elles font passer chaque brin dont elles tirent les deux extrémités vers
l'avant et forment les noeuds qui sont les éléments du décor.
Les motifs
Contrairement aux tissus, l'art des tapis n'est pas
connu de toutes les femmes. Jusqu'au milieu du XXème siècle, les plus
précieux tapis voyaient le jour dans la kasbah du Glaoui. Toutes les façons
de faire étaient connues. Par la suite, ces connaissances furent diffusées
au-delà de la forteresse. La tradition du tissage autrefois utilisé comme un
gage d'alliance politique est indissociable de celle du mariage unissant
deux groupes distincts (unions exogames) ou renforçant les liens familiaux
(endogamie).
Les tapis Glaoua portent en eux le symbole des paysages
divers et du voyage; les franges groupées en mèches à intervalles réguliers sur
les bords permettent aux voyageurs de nouer le tapis replié en sac sur l'envers.
Souvent noirs, ces liens conjurent le mauvais sort et les dangers associés aux
périples. Les points de l'ouvrage, liés à la représentation du dehors, reflètent
une aire géographique précise dans laquelle s'organisent les éléments stylisés
de la nature. La rivière court autour du tapis alors que la trame et la chaîne
tissés simplement évoquent les oasis, les plaines et plateaux couverts de
fleurs. Le nouage avec ses brins dressés rappelle la hauteur des collines
Les formes stylisées que les tisserandes
reproduisent fidèlement leur rappellent des éléments de leur culture
(chemin, rivière, fleurs, miroirs, gâteaux, étoiles, scarabées,
scorpions, etc.).
La théière de profil, souvent placée au centre de
l'ouvrage est pleine de sens, en référence à l'accueil et la
convivialité chers aux villageois.
Le tissage revêt une symbolique incontestable au Maroc et
dans le Haut-Atlas. Les motifs géométriques et leur combinaison n'ont de sens
que pour ceux qui les produisent. Il existe une correspondance chez les Berbères
entre les tatouages des femmes, les motifs peints ou gravés sur les poteries et
ceux des tapis. Parfois ils servent à identifier les animaux domestiques qui en
sont marqués.
Losanges, lignes brisées, damiers, chevrons, croix,
croisillons droits ou obliques, peignes, étoiles sont les motifs les
plus fréquemment rencontrés.
D'autres figures composées de losanges incarnent des
scarabées ou des scorpions.
Représenté seul, le losange est parfois vu comme l'oeil
qui protège des mauvais sorts.
Les papillons sous la forme de deux triangles se
touchant par une de leurs pointes sont également des fleurs ou des
étoiles, symboles de la beauté féminine.
Une ligne en forme de zig-zag ininterrompue cerne souvent le tapis. Pour
certaines, c'est le ruisseau, également représenté par une ligne continue,
le serpent ou la famille.
Les rameaux expriment la difficulté, le
danger mais aussi les végétaux et l'arbre de vie.
Les peignes isolés
ou réciproques rappellent les instruments du tissage.
La femme, libre dans son espace, pieds écartés et bras levés, prend
l'allure d'un signe de l'alphabet tifinagh.
La croix de patte de perdrix, la main de Fatma et la ceinture de
mariée sont fréquemment représentées.
La croix berbère, souvent au centre du tapis, rappelle l'architecture
de la kasbah.
Le caractère inachevé de l'oeuvre est un trait quasi permanent. Pour
conserver la baraka contenue dans la laine, les tisserandes doivent faire
preuve d'humilité. "Seul Dieu est parfait". Elles omettent donc
volontairement la dernière figure d'une série par exemple.
L'art du tapis
aujourd'hui révèle la connaissance du calcul par la tisserande et les
notions nouvelles du savoir diffusées par l'école. Les vieilles femmes à se
livrer au tissage des tapis sont rares car elles ignorent pour la plupart le
calcul et la géométrie et ne sont pas en mesure de compter les noeuds.
Autrefois, seules les plus expérimentées tissaient l' "akhnif" (large
cape polychrome aux motifs du groupe tribal) qui nécessitait de savoir
compter.
Aujourd'hui, presque toutes les jeunes femmes font des tapis à
noeuds polychromes; les villageoises qui ont fréquenté l'école primaire
permettent ainsi à la technique de s'épanouir et de rejoindre la tradition
mais également à apprendre la technique du tapis à leurs aînées.
Les tapis à noeuds sont décorés d'une
grande variété de motifs alors que les couvertures ont conservé la
simplicité de leur décor. Ainsi, le tissu rayé de couleurs rappelle le champ
couvert de sillons à l'époque des semailles.